Ascension du Grand Paradis et autres divertissements dans la vallée d'Aoste - Rapport de voyage
- Antoine Au-Job
- 1 nov. 2024
- 9 min de lecture
Dernière mise à jour : 12 janv.
Randonnée, alpinisme et via ferrata
Vallée d'Aoste, massif du Grand Paradis, Italie
Du 11/08 au 13/08/2023
Après 6h de route, me voilà arrivé dans la localité de Vetan, Italie. Objectif du jour : l'ascension du Mont Fallère, un 3000m local accessible en randonnée. Je prévois de faire une boucle d'une vingtaine de kilomètres dont le point d'orgue sera le sommet. Ça sera une bonne acclimatation pour la suite, me dis-je.
Culminant à 3061m d'altitude, le mont Fallère se situe dans le massif du Grand Combin, délimité par le Valdigne au sud et la vallée du Grand-Saint-Bernard au nord. Son refuge situé à 2385m est un point de passage obligé pour l’ascension. Son chemin d’accès est agrémenté de nombreuses sculptures sur bois de l’artiste Siro Viérin.
Les versants de la montagne se présentent sous forme de pentes herbeuses ou rocailleuses. Au pied du versant oriental se trouvent les combes d'Arsy et de Flassin, séparées par une crête nord-est. Le versant méridional est plutôt aride et nu - et est parsemé de plusieurs lacs.
Son arête finale - pour atteindre le sommet et sa madone - est aérienne et offre un panorama spectaculaire sur la chaine du Mont Blanc et les principaux plus haut sommets de la Vallée d’Aoste.

Le temps est idéal, j'ai prévu de déjeuner au sommet. Il y a une légère brise mais le ciel est bleu, la vue complètement dégagée. C'est un beau spectacle. Deux autres personnes ont visiblement eu la même idée que moi. Nous sourions, nous avons de la chance d'être ici, nous le savons. Au pied de la madone, il n'y a pas meilleur endroit pour déguster des sardines à l'huile.
Après avoir profité et crapahuté pendant 6h dans les montagnes, je rejoins la 206. Direction Gignot pour passer la nuit.
Demain, je ferai la connaissance de mon guide et de mes compagnons de cordée pour les prochains jours.
Samedi 12 août
Nous partons en direction de Rhêmes-Notre-Dame, objectif : la via ferrata de Casimiro. Nous sommes cinq. Il y a trois parisiennes, Danilo - notre guide - et moi. Nous passons notre matinée à manipuler baudriers et cordes - et à nous entrainer à progresser encordés dans les passages aériens, techniques. La via nous serre de terrain d'entrainement. Nous doublons plusieurs groupes sur la voie, cependant, première alerte, une parisienne ne se sent pas bien à l'abord d'un passage compliqué, en léger surplomb. Une baisse de glycémie qui nous contraint à nous arrêter plusieurs minutes et à ralentir le rythme pour la fin de l'ascension.
Nous déjeunons au sommet, avec une vue imprenable sur la vallée. Durant la descente, seconde alerte, une autre parisienne (pas la même que la première fois) à mal à un genoux. La descente est difficile pour elle. Elle n'arrive pas à suivre le rythme et nous l'attendons plusieurs minutes une fois en bas. Je reste assez circonspect par la situation et abasourdi par le manque évident de préparation physique de mes camarades. Nous verrons comment se déroulera la suite, mais tout cela n'augure rien de bon.
Il est 15h, nous sommes dans la vallée de Valsavarenche et nous entamons la montée vers le refuge Chabod, notre lieu de villégiature pour la nuit. 5km et environ 850m d+ pour atteindre les 2710m d'altitude. De là, nous partirons le lendemain matin sur une des voies menant au sommet du Grand Paradis.
Mais avant toute chose, il faut arriver au refuge. La pente est régulière, les paysages magnifiques. Le temps est calme malgré un ciel couvert, parsemé de nuages, qui colorent le paysage et apportent des nuances d'ombres et de lumières vraiment magnifique. La température est agréable, il y a une légère brise mais sans plus. Par chance, les prévisions météorologiques sont parfaites pour les deux prochains jours.
Avec Danilo, nous prenons des pauses régulières pour attendre nos trois camarades parisiennes. Elles ont beaucoup de mal à suivre le rythme dans la montée. Elles ont toutes les trois des problèmes de souffle dû à l'altitude. Rajoutons à cela un manque de préparation évident et un niveau physique clairement insuffisant, résultat : ce qui devait être un plaisir devient un enfer pour elles. Danilo commence également à s'inquiéter pour demain. En effet, nous sommes à seulement 2000m et des problèmes commencent déjà à apparaître. Or, le sommet du Grand Paradis se trouve deux fois plus haut, à plus de 4000m. Si demain il y a un problème entre le refuge et le sommet, c'est toute la cordée qui devra redescendre. Sans parler des risques individuels évidents d'une ascension de ce type en haute montagne, c'est toute la cordée qui peut être mise en danger à cause de la faiblesse ou du manque de préparation d'une seule personne. Et ça, ce n'est pas acceptable. Ce soir, les filles devront décider si elles prennent le risque de nous accompagner ou non demain matin. Elles choisiront en toute conscience et devront assumer leur choix.
Après 2h30 de marche, nous arrivons au refuge Chabod. Les locaux sont flambants neufs, du moins c'est l'impression qu'ils donnent. Il y a du monde mais tout est nickel et bien organisé. Les dortoirs sont propres avec des lits superposés et de bons draps. Le diner est excellent, des pâtes au parmigiano, à l'italienne bien sûr. L'air est frais mais le temps reste stable. Les prévisions sont encore bonne, tout est calme, reposant. Départ demain matin avant l'aube.
Dimanche 13 août
Ascension du Grand Paradis (4061m)
Conditions météo : ciel dégagé, 8 degrès Celsius, ressenti 7 degrès Celsius, humidité 66%, vent 2,9 km/h d’Ouest.
Matériels : piolet, crampons, casque, bâtons télescopique, baudrier, corde.
Du refuge Chabod (2710m) au sommet : 5,5km, 1324m d+
Heure de départ : 05h45
Temps d’ascension total : 4h48
Durée de déplacement totale (up & down) : 3h08
Temps up & down complet : 7h35
Vitesse moyenne : 1,4km/h
Nous partons un peu avant le levé du soleil. La frontale est allumée, les crampons dans le sac et le piolet prêt à servir. Les filles ont pris leur décision. Deux d'entres-elles nous accompagneront jusqu'aux abords du glacier de Lavecciau, de là elles rebrousseront chemin pour rentrer au refuge et nous attendre. La troisième décide de tenter l'ascension. Si au glacier, elle ne se sent pas d'aller plus loin, elle pourra toujours redescendre avec ses deux camarades. Cependant, passer ce point, il s'agira d'un non-retour. En effet, impossible de redescendre du glacier seule, trop de crevasses, le danger est trop élevé. Elle aura donc l'obligation de nous suivre coûte que coûte jusqu'au sommet. La messe est dite. Nous quittons le refuge en silence entre la pénombre et les lueurs brillantes de l'aurore.
Arrivés devant le glacier, nous enfilons nos crampons et nous nous encordons. Les deux filles redescendent comme prévu au refuge, la troisième décide de tenter le sommet avec nous.
Cette voie (en rose sur le schéma ci-dessous) traverse le glacier de Lavecciau. Elle est plus variée (glacier plus grand, nombreuses crevasses) que la voie normale partant du refuge Victor Emmanuel II (en rouge). Du refuge Chabod, il y a environ 5km et 1320m d+ pour atteindre le sommet. La météo est parfaite. Let's go.

Danilo ouvre la voie, nous guidant entre les crevasses, suivant un itinéraire sécurisé invisible pour un oeil non averti. Danilo est un sacré personnage. Je l'ai surnommé "tranquilo" parce que c'est le mot qu'il répétait tout le temps. "Tranquilo, tranquilo". Rien ne sert de partir vite, il suffit de garder un rythme constant, régulier, sans à-coups. À 61 ans, Danilo est expérimenté. Son tableau de chasse regroupe une ribambelle de sommets de plus de 5000m : Kilimandjaro et Mont Kenya en Afrique ; Aconcagua, Chimborazo, Huana Potosi et Sajama en Amérique du Sud, Mera Peak au Népal. Spécialiste de ski hors-piste, il fît ses armes au Canada puis dans les montagnes de la Turquie et du Kirghizistan. Trekkeur invétéré et grand amoureux de la nature, il habite désormais en Suisse et exerce son métier dans les Alpes et notamment dans sa vallée natale, le Val d'Aoste italien. Pour l'anecdote, il est aussi la créateur, le traceur, d'une via ferrata connu et reconnu en Italie pour son niveau élevé de difficulté. Il donna les noms de ses amis disparus - durant l'ascension d'un 8000 au Népal - à cette via.
En résumé, Danilo est un bon gars. Et quand Danilo dit "tranquilo", tu ralentis et tu ne poses pas de question. C'est comme ça que nous avons traversé le glacier de Lavecciau, tranquillement, en slalomant entre les nombreuses crevasses.
À la queue, encordés, l'un derrière l'autre, il y avait Danilo puis moi et la parisienne rescapée. Cette dernière avait l'air déterminée et plutôt en forme par rapport à hier. Une fois les crevasses passées, la pente devînt plus raide. L'idée est de rejoindre le dos-d'âne pour retrouver l'itinéraire normal. Dans la pente, nous montons en zigzags pour compenser le dénivelé, pour adoucir l'ascension. Danilo adopte un rythme vraiment lent pour permettre à la parisienne de suivre. Et ça marche. Notre ascension se fait de manière lente mais régulière et tout le monde arrive plus ou moins à suivre.
Personnellement, ce rythme lent me déstabilise un peu. Je n'ai pas l'habitude de progresser avec aussi peu d'intensité, ce rythme m'endort et ma vigilance diminue. D'un coup, ma jambe droite glisse et je me retrouve la tête contre la paroi, le corps dans la pente. Je suis retenu uniquement par un bout de crampons, un bout qui a accroché miraculeusement la glace. J'utilise mon piolet pour remonter, les autres me tirent avec la corde. J'arrive finalement à me remettre debout en sécurité sur le petit sentier en corniche. Adrénaline, retour à la réalité. J'étais tellement en sous régime, tellement facile, tellement serein, que j'en avais oublié l'essentiel. Toujours rester vigilant, concentré, ne pas se précipiter et vérifier chaque appui. La montagne est dangereuse et la moindre faute ne pardonne pas.
Nous arrivons au dessus du dos-d'âne, là où notre itinéraire rejoint la voie normale. Cette fois-ci c'est ma camarade qui est en difficulté. Son problème de souffle est revenu. Elle est comme tétanisée. Nous sommes arrêtés sur le replat qui précède la dernière rampe, avant l'arrête finale. Danilo essaie de la rassurer et de l'encourager. Je ne sais pas ce qu'il lui dit exactement, quoi qu'il en soit nous finissons par repartir quelques instants plus tard. Après un dernière effort, nous arrivons sur la dernière partie, pierreuse et aérienne.
Le sommet du Grand paradis est un crête allongée, rocheuse, hérissée de tours de Gneiss. Nous déposons nos crampons entre deux rochers, nous les reprendrons au retour. Nous escaladons les tours à l'aide de petites échelles plantées à même la roche. En dessous : le vide immense. Ne pas trembler, rester concentré, respirer, profiter. Nous arrivons enfin au sommet, après pratiquement 5h d'effort depuis le refuge. Magnifique. Magique. Un spectacle incroyable et une vue à couper le souffle.


Instinctivement, nous remercions Danilo de nous avoir emmené jusque-là. De nous avoir fait découvrir sa montagne. Tous nos efforts sont récompensés, tout cela en valait vraiment la peine. Et ce n'est pas ma camarade parisienne qui dira le contraire. Je dois avouer qu'elle m'a d'ailleurs beaucoup surpris, dans le bon sens du terme. Elle a su se dépasser pour monter jusque là, malgré les doutes, elle a résisté, tenu bon et a finalement réussi. Les étoiles dans ses yeux, au sommet, en disaient long. C'était beau à voir et je suis finalement content, heureux, d'avoir vécu tout ça avec eux.
Je fis la descente en tête, en petites foulées rapides. Tout le monde était dans le rythme. Nous en profitons pour doubler plusieurs cordées bloquées par l'appréhension dû au dénivelé fort de la pente. La descente se passa parfaitement. Nous arrivons finalement au refuge après une escapade totale d'environ 7h30. Là, nous retrouvons nos deux autres camarades. Après les salutations et les félicitations d'usages, ces dernières partirent aussitôt en direction des voitures, au fond de la vallée. Danilo, la parisienne et moi, en profitons pour déjeuner au refuge, un bon plat de pasta local. Après ce moment agréable, direction le fond de vallée, une descente à pas de course. C'est ainsi que nous quittâmes ce Grand Paradis et son magnifique massif.
Que retirer de cette expérience ?
D'abord, à toi qui me lis.
Si tu veux faire de la haute montagne, je t'en prie, prépare toi au maximum. Ne néglige ni l'équipement ni la forme physique nécéssaire à un tel effort. Autant pour ta propre sécurité que pour celle de tes camarades de cordée. L'alpinisme n'est pas un sport. Ce n'est pas non plus un divertissement. La préparation - autant mentale que physique - n'est pas qu'une question de performance ; il s'agit avant tout d'une question vitale, dont la réponse apportée peut faire la différence entre la vie et la mort.
Ensuite, personnellement, j'en retire un enseignement principal.
Celui de rester humble, concentré et attentif, tout le temps. Car, à tout moment, un problème peut intervenir - un pied qui glisse, une chute de rochers, un sérac qui tombe - et ça peut être le drame. Souvent, un simple fil, une simple corde, sépare la vie de la mort. Le danger est présent partout. Ne jamais sous-estimer la montagne ou se sur-estimer soi-même. In fine, rester humble permet, simplement, de rester en vie.
©️AntoineAu-Job
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