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Run reflexion #2 - Quelle playlist écouter lors d’une hypoglycémie nocturne par -12°C ? (SaintéLyon 2023)

  • Photo du rédacteur: Antoine Au-Job
    Antoine Au-Job
  • 28 oct. 2024
  • 9 min de lecture

Dernière mise à jour : 12 janv.

Dans les « Run reflexion » nous aimons découvrir, explorer les tréfonds de l'âme humaine. Nous aimons comprendre les mécanismes quantiques qui nous poussent à faire telle ou telle chose. Nous sommes des curieux, avec une soif d'apprendre infinie.


Aujourd'hui, nous allons tenter de répondre à une question essentielle. Une question que tout runner digne de ce nom est en droit de se poser lorsqu'il se retrouve seul à se balader à 4h du matin pour son simple plaisir égoïste - "Mais, mon cher Antoine, quelle playlist écouter lors d'une hypoglycémie nocturne par -12°C stp ?" - Et bien, je m'en vais répondre à cette question existentielle dans cet article, en prenant pour exemple ma course à la SaintéLyon en 2023.


Sur le papier, la SaintéLyon ne paraît pas extraordinairement difficile.

Il s'agit d'un raid nocturne de 78km - au profil plutôt descendant - traversant les monts du Lyonnais entre Saint-Etienne et Lyon.


À la fois trail et course sur route, elle s'effectue sur des chemins pédestres (65% de sentiers) et sur du bitume (35% de routes goudronnées). Le profil compte environ 2300m d+ et 2600m d-. Sur le papier donc, la course ne paie pas de mine.


Cependant, si la SaintéLyon est devenue un rendez-vous culte de fin de saison pour les amateurs de trail-running et si elle a acquis au fil des années une réputation de course titanesque, ce n'est pas pour rien.


Je vous le dis tout de suite, je n'ai pas sous-estimé cette course. Je me suis préparé au mieux, ma forme physique était très bonne. Mon matériel et mon équipement étaient éprouvés et validés. Mon alimentation était testée et approuvée. Pourtant, tout ne s'est pas passé comme prévu.



Au 68ème km, j'étais encore dans mon allure de course prévue. Tout se passait à merveille. J'étais parti de Saint-Etienne vers minuit et je déroulais bien jusque-là. Il faisait froid, -12°C sur les monts du Lyonnais. La neige, la glace, le verglas étaient au rendez-vous. Des gens par centaines - venus pour nous encourager - aux abords des chemins et des villages traversés, une ambiance de folie qui n'existe nulle part ailleurs. En tout cas, je n'ai jamais retrouvé cette effervescence ailleurs. Il faut bien comprendre, imaginer, des milliers de personnes sur les bords des routes à 2h, 3h, 4h, 5h du matin - en fait toute la nuit - dans le froid glacial de l'hiver. Certains déguisés pour l'occasion, agitant des fumigènes, d'autres prenant l'apéro entre amis, d'autres en famille, tous réunis autour de grands feux de bois. Impressionnant le nombre de personnes réunis pour une même chose : voir passer et encourager les coureurs. Alors, bien sûr, quand tu es au milieu de tout ça, sous les applaudissements, tout paraît plus facile. Tout devient magique, presque irréel.


J'avais prévu de courir la SaintéLyon en moins de 9h. Ce qui n'était pas un objectif déconnant au vue de mes performances et de ma forme du moment. C'était un objectif ambitieux, certes, mais tout à fait possible, réalisable. Ni trop dur, ni trop facile, juste réaliste.


Au 68ème km, j'avais passé le gros des difficultés, il me restait seulement 10km à parcourir et j'en étais à environ 7h30 de course. Le profil était descendant jusqu'à Lyon, mis à part la montée des aqueducs. J'étais dans mes chronos prévus, voir même un peu en avance. 10km, environ 1h de course. Une arrivée prévue en 8h30 environ, l'objectif serait largement rempli.


Cependant, je savais déjà à ce moment-là que je n'allais pas tenir le rythme, et pour cause.

Car il y a une chose que je ne t'ai pas encore tout à fait expliquée jusque-là.


La difficulté principale de la course ne réside ni dans sa distance ni dans son profil. Une seule chose fait de la SaintéLyon une course extrême : les conditions dantesques dans lesquels elle se court.

Nous sommes au début de l'hiver, il y a le froid, la neige, le verglas, la boue. Il y a la nuit aussi, longue, silencieuse, glaciale. Cette année 2023 ne dérogeait pas à la règle, c'était une vraie SaintéLyon.


Ce que je n'avais pas vraiment réalisé, c'était la difficulté que j'allais avoir à m'alimenter correctement dans ces conditions. Courir dans un froid glacial durant des heures entraîne une dépense énergétique folle, bien supérieur aux dépenses nécessaire en condition dite "normale". J'étais, bien sûr, tout à fait conscient de cette problématique. J'avais prévu une hydratation et une alimentation adaptées. Seulement voilà. Le froid engourdi les doigts malgré les gants, tout devient plus difficile. Ouvrir une barre ou une compote énergétique devient un calvaire. Les boissons d'efforts dans les flasques gèlent. Tu essayes de casser la glace dans la pipette avec tes dents. Tu essaies de faire au mieux, tu souffles dans la pipette pour ne pas laisser la moindre goutte d'eau susceptible de boucher le conduit, mais il en reste toujours un peu. Et elle gèle, inévitablement. Au fil des km, tu t'alimentes de moins en moins, tu t'hydrates de moins en moins. De fait, tu as de moins en moins d'énergie et donc de force pour t'alimenter. C'est le cercle vicieux. Et à un moment donné, ça ne passe plus.


Sur un ultra, ne pas s'alimenter correctement revient à se mettre un Beretta chargé sur la tempe. C'est une tentative de suicide. Bien sur, je ne suis pas suicidaire mais les conditions m'ont amené à me retrouver dans cette situation. Je savais que je n'allais pas finir cette course - si j'arrive à la finir - dans un bon état. Quand je suis arrivé au dernier ravitaillement, celui de Chaponost au 65ème km, je savais que les derniers kms seraient terribles pour moi. Bien sûr, à ce moment-là, je pouvais encore faire illusion. J'étais en avance sur mes temps de passages prévues, mon allure était encore stable et régulière. Mais je savais que cela n'allait pas durer. Je commençais déjà à avoir les jambes dures, les muscles se tétanisaient peu à peu. Et je savais que ça n'irait pas en s'arrangeant. Sauf en s'arrêtant plusieurs heures, en prenant un vrai repas etc. et encore, ce n'était pas sûr que ça puisse repartir. De toute façon, il était hors de question de s'arrêter plusieurs heures alors qu'il me restait à peine 15km à faire. Je savais que j'allais être dans le mal mais il faudrait tenir, arriver jusqu'à la Halle Tony-Garnier. Je pris le temps de boire une soupe à Chaponost et manger du fromage. Le soleil s'était levé et il faisait bien jour maintenant - la température remontera bien un peu et ça ira mieux, je me suis dit. Je repartis en trottinant de Chaponost jusqu'au 68ème km.



Là, j'ai dû me faire à l'idée. Je ne tiendrai pas le rythme sur 10 bornes supplémentaires. J'ai vraiment été affaibli par cette nuit glaciale et par ma négligence à traiter le déficit énergétique inhérent à ces conditions. Le seul point positif, il fait beau, le soleil nous réchauffe un peu. J'essaie de manger une barre mais ça ne passe pas. Je suis déjà trop faible et mon estomac est complètement retourné. Je n'ai plus le choix, je dois rallier Lyon coûte que coûte. En marchant, en rampant, peu importe. Avec le retour du soleil, les flasques ne gèlent plus et j'arrive à boire un peu de boisson d'effort. Quoiqu'il en soit, il me reste 10 bornes, je suis dans un sale état mais je suis debout et je marche vers Lyon. 10 bornes en marchant c'est long. On a le temps de réfléchir. Parfait pour tenter de répondre à notre question initiale : quelle playlist écouter lors d'une hypoglycémie nocturne par -12°C ?


Premièrement, tu l'auras donc compris, je n'ai pas fait une hypoglycémie dite sévère. Mais j'ai flirté avec les limites, ça c'est sûr. J'ai eu des baisses de vigilances c'est vrai, mais je suis resté tout à fait conscient sur mon état et sur les causes de celui-ci. Je connais parfaitement mon corps et je sais comment réagir afin qu'il puisse continuer à fonctionner de manière minimale. J'ai activé le mode "veille" en quelque sorte, pour pouvoir arriver jusqu'au bout, finir la course. Ai-je écouté de la musique durant ma petite balade dominicale ? Non. Absolument pas. Avec le froid, les couches de vêtements, le bonnet, les gants, c'est compliqué de mettre des écouteurs et surtout de contrôler l'appareil. Avec le froid, les piles et les batteries s'usent beaucoup plus vite également. Bref, trop encombrant, pas pratique pour ce genre de course. De plus, un lecteur mp3 m'aurait-il vraiment servi à quelque-chose ? La musique je l'avais déjà dans la tête.


Je me souviens parfaitement fredonner à tue-tête les quatre saisons de Vivaldi, comme une sorte de ritournelle. Une ritournelle qui revient pas à pas, en rythme, en parfaite harmonie. J'ai toujours écouté ce concerto, d'aussi loin que je me souvienne. Les mois précédents la course encore, durant les entrainements, je courrais avec du Vivaldi dans les oreilles. La musique classique donne une autre saveur à l'effort - et à la vie en général d'ailleurs - mais plus précisément à l'effort, elle le sublime. Et nul besoin d'en dire plus sur le génie qu'était Antonio Vivaldi.


Je me souviens aussi avoir chanté en boucle le premier couplet et le refrain de Hater's Killah de Stupeflip :


Ce morceau s'adresse à tous les tristes sirs accrocs du net

Lâches et racistes, planqués derrière leur ordi

Ils sont comme des serpents, ils pissent sur mes sentiments

Incroyable cons et dans mon cou ils plantent leurs dents

De quoi devenir paranoïde

Pauv' nazes, s'ont la haine

Font chier bourré sous stéroïdes

Arrogant, ils s'la jouent testostérone

Va falloir lâcher l'affaire (le membre caché du Stu)

ils sont jaloux

Ils observent leurs voisins

Ils ont pas envie de le voir heureux, cette seule vision les rend zinzins

Ça les renvoient à leurs triste réalité

Vie de merde, taf de merde du cervelas dans l'cervelet

S'ont du flamby dans l'slop

Bande de salope

Faut qu'ils restent tranquille ou j'les découpent comme une escalope

Stupéflip c'est pas n'importe quoi

Ça fout l'feu, fait fondre, ça t'handicape quand tu l'as pas

C'est une construction mathématique (Hater's Killah)

Un truc métaphysique qui t'pique comme un Aspic


Stupeflip, j'adore. C'est la base. Depuis la fac, je connais tous les albums par coeur. J'avais en tête ce morceau car je l'écoutais aussi régulièrement à l'entrainement. Je faisais tourner l'album en boucle. Les paroles et le rythme restent vite en tête. Parcontre, impossible de me souvenir du reste de la chanson. Cela m'a un peu énervé. Je suis donc passé mentalement à une autre chanson après la montée des aqueducs, en descendant vers la Halle Tony-Garnier.



Bien sûr, Mylène.


C'est une belle journée, je vais me coucher

Une si belle journée, qui s'achève

Donne l'envie d'aimer, mais, je vais me coucher

Mordre l'éternité, à dents pleines

C'est une belle journée, je vais me coucher

Une si belle journée, souveraine

Donne, l'envie de paix

Voir des anges à mes pieds, mais je vais me coucher



Tu as tout dit, Mylène. C'est exactement ce que j'avais prévu de faire - me coucher - une fois l'arche d’arrivée passée.



Pour la petite histoire, je terminerais finalement la course en 9h39. Soit à 39min de mon objectif. In fine, je mis deux fois plus de temps que prévu initialement pour faire les 10 derniers kms : deux heures au lieu d'une.



Mais je suis bien arrivé. Et j'en suis finalement très heureux. Et aussi plutôt fier, d'avoir trouvé la résilience nécessaire pour me sortir de cette situation. Je ne me suis pas effondré et je n'ai jamais songé à renoncer. J'ai géré au mieux, avec les armes et les problématiques du moment.


Des dégâts ?

Physiquement, une fatigue généralisée et des jambes qui ne répondent pratiquement plus, presque paralysées. Le lendemain de la course, je tombai malade. Une crève qui durera 2 semaines. Physiquement à plat donc, mais je m'en remis finalement assez vite une fois la maladie terminée.

Mentalement parcontre, je mis plusieurs mois à revenir. Une course comme la SaintéLyon demande des mois de préparation et est, en elle-même, très exigeante au niveau de la concentration. Les sections verglacés demandent beaucoup d'attention. La moindre erreur peut être fatale. Une entorse, une fracture et la course est finie. De plus comme tu l'as compris, les conditions t'usent à petit feu. Il faut vraiment être bien préparé. Or, quand la course est finie, les nerfs finissent par lâcher et toute la fatigue arrive d'un seul coup. Ces moments-là sont toujours un peu compliqués à gérer. On ne sait pas vraiment combien de temps tout cela peut durer. C'est au ressenti de chacun. Personnellement, j'ai eu besoin de faire une coupure après la course. Coupure d'autant plus nécessaire que je savais que je devrai rattaquer une grosse préparation en début d'année en vue de la VVX 2024. Mais tout ça est une autre histoire, que je te raconterai peut-être plus tard.


Nous sommes en 2024, que faire maintenant ?

Rester sur ce goût en demi-teinte, ce goût de mi-victoire mi-défaite ?

Rester raisonnable et ne pas s'inscrire une nouvelle fois sur cette course ?

En tant que médecin alternatif spécialiste en sport santé, je dirai que oui. Il faudrait songer à se reposer, et donc ne pas repartir sur cette fichue SaintéLyon.

En tant que médecin alternatif spécialiste en sport santé, je suis quelqu'un de raisonnable. C'est donc pour ça que cette année, je ne repartirai pas sur la SaintéLyon pour son 70ème anniversaire.


Je partirai sur sa grande soeur - la LyonSaintéLyon, c'est à dire l'aller-retour de la SaintéLyon soit 164km et 4600m d+. D'après mes calculs, comme je ne serai pas sur la SaintéLyon en elle-même, je ne devrai pas avoir de problèmes particuliers. C'est mon avis de spécialiste.


Cependant, toi ! Toi qui me lis, si tu es de Saint-Etienne ou de Lyon - ou entre les deux - et que par inadvertance ou par pur hasard tu vois passer vers chez toi un gars fantomatique dans la nuit du 30 novembre, n'appelle surtout pas les Ghostbusters. Sors plutôt ton plus beau fumigène. Craque ce feu de Bengale et crie le plus fort possible des phrases comme : "c'est bien, c'est une bonne allure ça", "allezzzzzzzzz", "c'est fort garçon, continue", "vous avez fait le plus dur, il reste que 5km".

Alors, bien sûr, tu seras ridicule.

Mais putain, qu'est ce que ça sera kiffant.


©️AntoineAu-Job





 
 
 

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