top of page
Rechercher

LyonSaintéLyon 2024, la boucle est bouclée - Compte rendu

  • Photo du rédacteur: Antoine Au-Job
    Antoine Au-Job
  • 8 déc. 2024
  • 17 min de lecture

Dernière mise à jour : 26 avr.

Ultra-Trail

164km, 5500m d+, 25h02'16''

30/11/2024, Lyon (France)

164ème /600 partants (317 finishers)




La SaintéLyon.

J’ai une attirance et un attachement particulier pour cette course.

Peut-être parce que c’est une course nocturne.

Peut-être parce que c’est une course qui se court habituellement dans des conditions dantesques.

Peut-être parce que c’est une course qui demande d’aller piocher au plus profond de soi-même.

Peut-être parce que c’est une course historique, une aventure en elle-même.

Peut-être parce que ce fût elle qui m’a permis, l'an passé (cf. maSaintéLyon 2023), de faire mes premiers pas dans le monde de l’ultra.

Cette course me fait apprendre.

Cette course me fait grandir.


Cette année, pour les 70 ans de la doyenne, le parcours est un best-of des années précédentes. Avec tous les passages les plus difficiles concentrés sur un même tracé : le col de la Gachet, le bois d’Artefeuille et sa terrifiante côte du Rampeau, le signal de Saint-André - point culminant des monts du Lyonnais - sans oublier la mythique montée des aqueducs en arrivant à Lyon. C’est un tracé historique. Le tracé le plus difficile de l’histoire de la SaintéLyon, et le plus long aussi, avec 82km.


Cette année, j’ai décidé de doubler la distance. De m’aligner sur l’aller-retour, sur l’effrayante LyonSaintéLyon.

Aussi, logiquement, la plus longue et la plus difficile de l’histoire : 164km, 5500m d+.

Cette course à un règlement particulier. C'est un 100 miles par étapes. Deux étapes, de 82km chacune. La première, entre Lyon et Saint-Étienne, se fait en semi-autonomie et sans balisage. Elle n'est pas chronométrée officiellement (suivi uniquement par pointage via puces électroniques aux postes de contrôle), cependant chaque concurrent a l'obligation d'arriver à Saint-Étienne en moins de 13h30 pour valider l'étape et, ainsi, avoir le droit de continuer l'aventure. La seconde, entre Saint-Etienne et Lyon, est chronométrée officiellement. C'est elle qui compte pour le classement officiel final. Les concurrents encore en course partent ainsi dans la vague 1 de la SaintéLyon classique, direction la Halle Tony-Garnier.


Départ : Samedi 30 novembre, 09h00.

Objectif : rejoindre Saint-Étienne en moins de 13h30 (barrière horaire à 22h30) pour avoir le droit de s’élancer sur le retour.


Étape 2 : Saint-Étienne > Lyon (avec la SaintéLyon classique)

Départ : Samedi 30 novembre, 23h30.

Objectif : rallier Lyon, pas plus vite qu’à fond, pour arriver à l’heure au gueuleton traditionnel du dimanche midi.


Let's go !


Vendredi 29 novembre

13h45, on est vendredi, je suis au bureau. Suivant notre plan, dans une heure, mon père arrivera et nous filerons direction Lyon pour récupérer mon dossard et préparer les sacs de délestages pour la course. Merci encore à la direction et aux collègues de me permettre de partir plus tôt aujourd'hui.


13h49, un sms de mon père : "je suis chez le garagiste à Riom-Ès-Montagnes pour faire réparer un pneu crevé, je vais être en retard...". C'est toujours pareil, tout ne se passe jamais vraiment comme prévu. On ne peut pas tout contrôler. Le stress monte, mais c'est ok.


15h, je rejoins ma voiture et là, surprise ! Des petits mots d'encouragements des collègues sur le pare-brise. Ça fait plaisir, mais pas le temps de chômer. D'ici, il faut compter au moins deux heures de route pour arriver à Lyon, sans compter les bouchons. Mon père me rejoindra normalement à l'hôtel dans la soirée.


17h30, arrivé à la Halle Tony-Garnier. Je récupère mon dossard et mes sacs de délestages. Mon cadeau de bienvenue aussi, les fameuses chaussettes BV, au fin fond du salon du trail.


18h30, j'essaie de rejoindre l'hôtel assez rapidement malgré les bouchons. Lyon, deuxième ville de l'enfer niveau bouchon (après Clermont-Ferrand). Mon père est arrivé un peu avant et a déjà récupéré les clefs. Il est plus de 19h quand je commence à sortir les affaires et préparer les sacs, les ravitaillements, etc. J'ai l'impression d'être en retard, d'oublier des choses, mais je ne sais pas quoi. Je mange vite fait, sur le pouce, un peu de riz que j'avais dans un Tupperware. Tous les sacs sont prêts, on verra bien demain. Je me couche et m'endors sans problème.



Samedi 30 novembre

05h30, le réveil sonne, j'ai très bien dormi. C'est une chance que j'ai, par rapport à d'autres : je dors très bien les veilles de courses malgré le stress ambiant. D'habitude je mange salé au petit-déjeuner avant une course, mais je n'ai plus rien de salé sous la main. Je mange donc une barre sucrée sur le pouce, me disant que ça ira bien (spoiler : non). De toute façon, je compte sur ma stratégie de nutrition de course pour répondre à mes besoins énergétiques. Une stratégie approuvée et éprouvée - testée à l'entrainement et aux Templiers il y a moins d'un mois. Je suis assez confiant malgré le stress d'un premier 100 miles. J'ai peur, bien sûr, mais - pour une fois sur une SaintéLyon - les conditions sont bonnes. Les températures devraient osciller entre 0 et 5 degrés le matin, 10 à 13 degrés l'après-midi, avec un grand ciel bleu à partir de 13h. Rien à voir avec les conditions dantesques de l'an passé (-12 degrés, neiges, verglas). Si les jambes sont bonnes, ça va être top. Si ce n'est pas le cas, je compte sur ma résilience à l'effort. Je m'entraîne pour ça et, de toute façon, je ne suis pas ici parce que j'aime la facilité. L'effort et la souffrance ne me dérangent pas. Je les accepte, c'est ok. Ça fait parti du process.


Nous arrivons à la halle Tony-Garnier vers 08h, une heure avant le départ. Les sentiments, durant les minutes qui précèdent le départ d'une course, sont toujours complexes à gérer. Il y a un mélange d'excitation, de stress et de peur. Éviter de se disperser et de perdre son énergie en conséquence. Rester concentrer, entrer dans sa bulle. Mémoriser sa course, rester focus. Ne pas se fatiguer dans des conversations inutiles. Contrôler sa respiration et son rythme cardiaque.


Soudain, le speaker annonce : "moins 15 minutes avant départ, messieurs, mesdames, veuillez entrer dans le sas".

C'est précisément là, à ce moment précis, qu'il ne faut plus réfléchir. Arrêter toutes pensées. Entrer dans la boite, écouter les consignes de sécurité et les dernières directives de course. Attendre, tranquillement, le signal du départ.



Étape 1 : Lyon > Saint-Étienne

"3, 2, 1.... bonne course les gars et les filles !"

Il est 09h00, je m'élance - avec mes 599 acolytes aux dossards jaune - vers le parc des expositions de Saint-Etienne. Au programme, 82km et 2900m d+ en guise d'échauffement. Le temps est frais mais il n'y a pas de vent. Il y a de la brume, l'air est humide mais ce n'est pas gênant pour courir. En fait, c'est un temps idéal, presque parfait. Dès les premiers kilomètres, je sens que les jambes sont bonnes. Ça déroule tranquillement, sans effort. Les chemins sont roulants et agréables à courir. Cependant, quelque-chose ne va pas. Une gène au niveau de l'estomac. Ça va passer, je me dis (spoiler : non). En fait, ça ne passera jamais. Plus les kilomètres vont passer et plus je vais devoir m'y résoudre. Je suis en train de vivre le problème que je redoutais le plus en ultra : les troubles digestifs, les troubles gastro-intestinaux. Traduction : impossible de me nourrir sans avoir immédiatement une sorte de boule au ventre, une envie de vomir ou d'avoir une diarrhée fulgurante. Rien ne passe, ni la boisson d'effort ni les barres ni les compotes. Je ne peux avaler aucun glucide. Cependant, l'eau plate à l'air de passer - si je la garde dans la bouche pour la réchauffer avant de l'avaler - et si je fais de toutes petites gorgées. Pareil pour l'eau enrichie en électrolyte. C'est déjà ça.


Au km 20, j'arrive au pointage de Soucieu-en-Jarrest à 11h32, soit en 02h32 de course. Je refais le niveau de mes flasques avec la boisson d'effort au ravitaillement, pensant encore que mes maux de ventres vont finir par passer (spoiler : non). Malgré ces contraintes digestives, je me sens bien. Les jambes répondent bien et, ma fois, on verra bien comment se déroule la suite. Je continue donc sur le même rythme. Un rythme très cool, alternant entre léger footing et marche rapide. Direction le second pointage, Sainte-Catherine au km 48.



Première surprise, à la sortie d'un petit village, avant d'attaquer un sentier, je vois mon père et mon cousin sur le bord de la route. Un bonjour rapide, merci d'avoir été là. Un peu plus loin, rebelote avec, cette fois-ci, ma mère, ma tante, mon petit cousin et ma soeur (qui n'était pas prévu et qui m'a fait la surprise de venir). Je m'arrête pour embrasser tout le monde et faire les photos d'usages. Merci à vous !



Nous sommes environ au 30ème kilomètres et je vais bientôt attaquer la montée vers le signal. Jusque-là, le temps était brumeux, légèrement humide. La brume commence à se disperser maintenant. Plus nous montons, plus la vue se dégage. Bientôt, nous serons au-dessus du brouillard. Arrivé au point culminant des monts du Lyonnais, une vue magnifique, à couper le souffle, nous attend. Au dessus, un ciel bleu, presque parfait. En dessous, une mer de nuage. Au loin, le Mont-Blanc. OUI, nous avons eu la chance de voir le Mont-Blanc depuis les monts du Lyonnais. Incroyable !



Après avoir pris le temps de profiter du spectacle, je reprend ma route avec quelques acolytes.

Direction Sainte-Catherine.

Dans ce sens, le profil est descendant. Nous trottinons tranquillement jusqu'au ravitaillement. Mes maux de ventres n'ont pas cessés. Je ne peux toujours pas m'alimenter correctement. Mis à part ça, pour l'instant, tout va bien. Étonnamment, pour le moment, les jambes restent bonnes.

J'arrive à Sainte-Catherine au km 48 à 15h53, soit après 06h53 de course. Je vais directement dans les toilettes de chantier installées devant la tente de ravitaillement. Cette fois-ci, c'est sûr, c'est officiel, la journée va être très longue. Ensuite, je vide mes flasques pleines de boissons que je n'arrive pas à avaler et les remplis d'eau plate. À partir de maintenant, je ne sais pas combien de temps mon corps pourra tenir sans un ravitaillement adéquate. On verra bien. Dans un premier temps, je vais tenter de rejoindre Saint-Etienne. Peut-être que là-bas, si j'arrive à manger de la vraie nourriture et à dormir un peu, ça ira. Je ne sais pas, on verra. Je repars, direction Saint-Christo-en-Jarez. En route, je retrouve la famille dans un timing de croisement parfait. Petite photo et c'est reparti.


J'arrive au pointage de Saint-Christo - situé au km 61 - à 17h48, soit après 08h48 de course. Même topo, même musique que précédemment. Malgré tout, les jambes continuent à être au top et je n'ai aucun problème musculaire à signaler. Il me reste à peu près 20km pour rallier Saint-Etienne. Je continue tranquillement, en léger footing jusqu'au parc des expositions.


J'arrive devant l'arche à la frontale à 20h47, soit après 11h47'35'' de course. 82km, 2900m d+.

La première étape est validée.





J'entre dans le parc des expositions. "Bravo les jaunes !" Les coureurs de la SaintéLyon classique commencent déjà à s'entasser dans la grande halle. Les gens applaudissent et nous encouragent à la vue du dossard jaune. L'ambiance est sympa. Je file tout droit vers le coin réservé aux coureurs de la LyonSaintéLyon. Au fond du parc des expos, derrières les barrières opaques qui nous séparent du reste du monde. À l'entrée, un grand panneau jaune indiquant "réservé aux coureurs de la LyonSaintéLyon et aux coureurs élites". Passé le sas gardé par un vigile, on trouve des masseurs et des kinés. Il y a aussi la consigne bagage et le coin restauration spécifique à notre course.


Il est au alentour de 21h, il me reste 02h30 avant le départ du retour. Je récupère d'abord mon sac de délestage à la consigne et le pose, m'installe dans un coin - par terre - entre deux autres coureurs. Je ne perd pas de temps et file directement au coin restauration. C'est le moment de vérité. Vais-je enfin réussir à avaler quelque-chose ? Au menu, des pâtes à la sauce tomate et à l'emmental, un mélange de taboulés et de lentilles, différents fromages et, en dessert, des tartelettes à la pomme. On me sert des pâtes dans un espèce de grand bol en carton. Dans une assiette, on m'entasse du taboulé et toutes sortes de fromages. Je ne prend pas de dessert, je sais d'avance que le sucre ne passera pas. Je m'installe à une table et commence par les pâtes. Alors, bien sûr, ces dernières sont bien trop cuites pour être appréciables mais, miraculeusement, elles passent. Malgré la faim, je mange doucement pour ne pas trop contraindre mon estomac. Je sur-mâche les aliments par petites bouchées. Je finis par venir à bout du bol et sans problèmes intestinaux. Je fais l'impasse sur la semoule et les lentilles. Ce sont des aliments qui sont, de base, durs à digérer pour mon organisme. Je ne vais donc pas tenter des folies aujourd'hui, dans cette situation. Par contre, je mange le fromage avec un bout de pain. Ça à l'air de passer aussi. Ouf ! Je débarrasse tout ça et file vers mon sac.


Je change de vêtements, met des habits secs. Je positionne mon duvet au sol et m'installe à l'intérieur. Je sors la batterie externe pour faire charger ma montre et mon téléphone. Il est 21h30, je programme un réveil pour 22h30 - soit une heure avant le départ. Je ferme les yeux et - malgré les bruits ambiants inhérents à l'entassement de milliers de personnes dans un lieu clos - m'endors presque instantanément. Une heure après, le réveil sonne, j'ouvre les yeux. Je me lève, pas de courbatures ni de douleurs musculaires spécifiques. Je commence à préparer mes affaires pour le retour. Je rempli mes flasques d'eau plate. Je récupère également une petite bouteille de Saint-Yorre (500ml) que je cale dans mon sac de course. Niveau alimentation, je reprend la même chose qu'à l'aller. Je n'ai rien pu utiliser et je me dis que, peut-être, ça irait mieux sur le retour et que tout ça me serait alors bien utile (spoiler : non). Je change de chaussure, met des vêtements propres, prépare la frontale. J'entasse mon duvet et les choses inutiles dans mon sac de délestage. 23h, le speaker annonce "moins de 30 minutes avant départ - les élites, le sas perf et les LyonSaintéLyon dans la boite svp". Je dépose mon sac de délestage à la consigne puis me dirige à l'autre bout du parc, à l'entrée du sas 1. Il est 23h15, "moins de 15 minutes avant le départ de cette 70ème SaintéLyon, est-ce que vous êtes prêts ?", je rentre dans le sas, au milieu de mes acolytes rescapés aux dossards jaune et des coureurs justifiants d'un indice de performance leur permettant de partir en vague 1. Devant nous, les élites alignés sur la doyenne. Un plateau d'exception pour cette édition anniversaire. On a là Thomas Cardin, déjà double vainqueur de l'épreuve, champion d'Europe de trail, récent lauréat sur les Templiers. Il y a aussi Baptiste Chassagne, 2ème de l'UTMB cette année, et l'américain Ben Dhiman, 3ème sur la diag'. On retrouve également des gars comme Lambert Santelli - actuel recordman du GR20, vainqueur au Restonica et à l'Atlas Quest cette année - Théo Détienne, lauréat du 100k du trail d'Alscace by la course de quartier, et Antoine Charvolin, deuxième de la SaintéLyon l'an passé. Du côté des féminines, la tenante du titre Julie Roux est présente. Les spécialistes suivront également la finoise Anna-Stiina Erkkila, habituée aux températures glaciales, et Marie Gonçalves qui a déjà fait podium ici l'an passé. Concernant ma course, la LyonSaintéLyon, le jeune Théo Le Boudec - vainqueur de l'UTCAM et du 100k du Grand Raid du Ventoux cette année - fait figure d'épouvantail. Du côté des féminines, il faudra suivre la vainqueur sortante - Marie-Laure Lenglet - et des filles habituées aux très longues distances comme Maud Méry de Montigny, finisher du 200km de l'Infernal Trail des Vosges cette année, par exemple.


Il n'y a pas de vent, la température est fraîche bien sûr, mais reste agréable. Le ciel est dégagé. Les spots lumineux de l'arche s'illuminent et commencent à vaciller au son de la musique de U2.


"Si vous êtes ici, ce n'est pas par hasard. Car on court tous pour quelque-chose ou pour quelqu'un. C'est le moment de vous en souvenir, maintenant."



Étape 2 : Saint-Étienne > Lyon

"3, 2,1.. Maintenant ! Go go go go. Bonne course les gars et les filles."

Les fauves sont lâchés. Je m'élance à l'arrière du sas pour ne pas gêner les coureurs plus rapides de la doyenne et des relais. Ça évite également de me faire bousculer, inutilement, dans la cohue générale. Je ne suis qu'à la moitié de la course, la route est encore longue. Comme d'habitude, il y a beaucoup de monde au départ pour nous applaudir. L'ambiance est toujours aussi sympa. Dès les premières foulées, je me sens bien. Les jambes répondent favorablement et je n'ai toujours pas de douleurs musculaires spécifiques. J'ai laissé tombé la boisson énergétique, je m'hydrate à la Saint-Yorre. Tout de même, je sens que mon estomac est encore fragile. J'ai toujours ce noeud au ventre qui m'empêche de m'alimenter correctement. Le prochain ravito, à Saint-Christo, est dans 20km - soit au km 102 de ma course. On verra si les troubles se seront calmés à ce moment là (spoiler : non). J'avais prévu, à la base, de courir plus vite sur le retour. L'idée initiale étant de s'économiser au maximum à l'aller - ce que j'ai bien réussi à faire - pour pouvoir mettre un peu plus d'intensité au retour (seul le temps du retour compte pour le classement officiel). Or, au vue de la situation - si je veux avoir une chance d'arriver au bout - il me paraît plus sage de continuer sur le même rythme, un rythme plus tranquille. En effet, sans une alimentation correcte, il me paraît difficile de mettre plus d'intensité passé la barre des 100km sans compromettre mon endurance musculaire. Or, cette dernière m'est indispensable pour terminer une course aussi longue. Je continue donc mon petit bonhomme de chemin à la même allure que sur l'aller, tranquillement, en alternant entre petit footing (sur le plat et en descente) et marche rapide dans les montées. Je m'adapte en faisant avec les armes du moment. On verra bien où tout cela nous mènera.


La nuit, tous les repères sont faussés. Je reconnais à peine les chemins que j'ai pourtant empruntés (dans l'autre sens) il y a seulement quelques heures. La nuit, tout est différent. C'est comme un autre monde. La plupart des gens ont peurs de la nuit, la craigne, l'appréhende. Moi, c'est l'inverse. Je l'attend avec impatience. Je m'y sens bien, en parfaite sécurité. J'ai toujours aimé la nuit. Tout est plus calme, comme au ralenti. Courir de nuit procure un sentiment unique. Ton monde se résume uniquement aux quelques mètres devant toi, ceux que ta frontale est en mesure d'éclairer. Autour, le noir complet, le vide immense. Tu es comme seul au monde, seul dans ton monde. Le kiff complet. C'est ainsi que j'arrive au ravitaillement de Saint-Christo, en suivant la file infinie des frontales serpentants dans la nuit sur les chemins des monts du Lyonnais. Je n'arrive toujours pas à m'alimenter mais c'est ok. La nuit est douce et je suis dans mon élément. On est parti de Saint-Etienne il y a 03h environ, ce qui fait qu'on est à 14h47 de course au total. Il est 02h39 du matin, l'heure idéale pour faire un footing direction Sainte-Catherine.


Entre les deux ravitos, même musique. Le ballet infini des frontales. Mon mal de ventre n'a pas cessé. Mais c'est ok. Je dois quand même m'arrêter plusieurs fois à cause de crampes d'estomac, de ballonnements, que je dois évacuer en urgence. Malgré tout, les jambes continuent à répondre favorablement. J'arrive à Sainte-Catherine un peu après 05h du matin. J'en suis à 114km et 17h20 de course. Au ravito, je vide mes flasques d'eau froide que je n'arrive plus à boire et qui me donnent des diarrhées fulgurantes. Je rempli une flasque de thé chaud, l'autre de bouillon cube chaud. Je met Clapton à fond dans les écouteurs, le live de 2013 à Bâle. Une tuerie. Let's go !


Le thé et le bouillon me réchauffent. Ils apaisent aussi mes maux de ventre. Je repars en trottinant direction le bois d’Artefeuille. En dépit de ces problèmes digestifs, je me sens bien et je double pas mal de concurrents sur cette section. En arrivant au pied de la côte du Rampeau, la magie continue. Malgré une pente à plus de 20%, je mange littéralement le dénivelé en doublant de nombreux SaintéLyon classique. Je continue comme ça jusqu'au sommet du signal de Saint-André. De là, je bascule en trottinant jusqu'au prochain ravito. Et ce concert de Clapton, quel kiff !



J'arrive au ravito de Saint-Genou à 07h38 du matin - soit après 129km, plus de 4500m d+ et 19h47 de course au total. Je continue ma nouvelle stratégie alimentaire : du thé chaud dans une flasque, du bouillon cube dans l'autre. À partir d'ici, le profil est plutôt descendant mais avec plusieurs coups de cul qui cassent bien les pattes. Je connais que trop bien cette fin de parcours pour l'avoir pratiquer un long moment l'an passé (cf. ma SaintéLyon 2023). L'erreur est de sous-estimer cette partie, pensant que c'est la plus facile. En vérité, pour moi, c'est la plus compliquée - car elle est très longue et se court, pour la plupart du temps, sur un macadam qui finit par te détruire inévitablement les fibres musculaires. Cependant, je ne fais jamais deux fois la même erreur. Et, cette fois-ci, je compte bien gérer parfaitement ces trente derniers kilomètres de course.


Je passe le ravito de Soucieu-en-Jarrest à 09h41, soit après 142km et 21h47 de course, sans problème particulier, en totale gestion. Même chose pour le ravito de Chaponost où ma puce bip à 10h50 après environ 150km et 23h de course. On ne change pas une équipe qui gagne, même stratégie alimentaire pour les deux : une flasque de thé chaud, une flasque de bouillon cube. Il ne reste plus que 14km avant l'arrivée. Mais avant ça, il faudra affronter la dernière grosse difficulté du parcours, la montée des aqueducs. Jusque là, malgré mes problèmes digestif et d'alimentation, je fais une course en gestion presque parfaite. Ce rythme est le bon pour un 100 miles dans ces conditions, avec les armes du moment. J'arrive au pied de la montée en toute possession de mes moyens, plutôt frais, et sans aucun problème musculaire. Dès les premiers mètres, je double plusieurs SaintéLyon classique, remake de la côte du Rampeau et de la montée vers le signal. La tête baissée, les mains qui poussent sur les cuisses, j'écoute à fond un album de Stupeflip. Soudain, j'entend une voix qui s'adresse à moi. Je tourne la tête à gauche. Je baisse la musique. Je sourie. Est-ce une blague ? Ou peut-être une hallucination ? Non, pas du tout. Elle était bien là, à me suivre depuis une dizaine de mètres. À me féliciter, à m'encourager. On aurait dit un ange, vraiment. C'est marrant comment la vie est faite. Il y a quelques heures, je déféquais et vomissais mes tripes en pleine nuit au milieu des bois. Là, je suis en train de taper la discussion tranquillement dans la montée, avec la plus belle blonde du département, en doublant tout le monde sans aucun effort. Elle, je ne sais pas son nom parce que je ne lui ai pas demandé. C'était une amie d'une SaintéLyon classique que je venais de doubler ostensiblement, en me frayant un passage entre plusieurs coureurs à la dérive dans ce mur à plus de 12%. Elle était ici, de base, pour l'encourager dans cette dernière difficulté. Elle a finalement quitté son amie pour me suivre et discuter. On fît toute la montée ensemble. Au sommet, on se dit qu'on se reverrait à l'arrivée. Bien sûr, c'était faux. Mais ce petit moment passé ensemble et son sourire me donnèrent du baume au coeur. Une lumière dans les ténèbres. Passé la bosse, sur le replat menant au parc aventure, je décide de relancer comme un sagouin. C'est pas le tout, mais il est aux alentours de midi et j'ai grand faim - et j'ai un kebab-frites sauce blanche qui m'attend à l'arrivée.


Il reste à peine 4km et mon corps commence à fatiguer. Je sens une tension inhabituelle sur le dessus de mon pied gauche. Je sais ce que c'est. C'est le releveur. Surement un début de tendinite. J'essaie de ne pas trop forcer pour ne pas augmenter la douleur. Je commence à marcher en descente... ce qui n'est pas très bon signe. Il est temps d'arriver maintenant. Il est temps que ça se finisse. Peu après, je me fais doubler par des gars du coin bien sympa - en fait, une fille que je suis sur Instagram et qui fait des trucs cools (coucou florunnfun) et deux de ces acolytes - qui sont sur la SaintéLyon classique et que je croise à chaque ravito depuis Sainte-Catherine. Ils me poussent et m'encouragent à les suivre, à ne pas lâcher. Au diable donc la tendinite, je fais fi de la douleur et relance - comme un porcinet lâché dans un champ de maïs - jusqu'à l'arrivée.



J'arrive sous l'arche de la Halle Tony-Garnier à 12h54 en 13h14'41'' (pour la partie chronométrée officiellement, c'est-à-dire le retour) à la 164ème place. Nous étions 600 au départ, nous ne serons que 317 à l'arrivée. Au final, j'aurai parcouru les 164km et 5500m d+ en 25h02'16''. La boucle est bouclée.







Lundi 02 décembre

Ma soeur nous a ramené à Clermont-Ferrand, la 206 et moi, il y a quelques heures (vers 17h dimanche). Je me suis endormi presque directement en rentrant à l'appartement - et je suis maintenant en pleine santé. Il est 02h30 du matin, j'ai grand faim. C'est l'heure idéale pour nourrir l'animal. Une pizza, du roquefort avec des noix, la totale. Après réflexion, mon tibia gauche est bien gonflé. Il se trouve que si on force trop sur une tendinite, cela peut entraîner une sorte d'œdème, un gonflement. Très intéressant. Je note - des notes qui me serviront certainement pour un futur bouquin sur le sport santé. Dans trois heures, je devrai me préparer pour une nouvelle journée de travail. Je mettrai un coup de bombe de froid sur le tibia et le dessus du pied. Je strapperai tout ça, tranquillement. Je prendrai ma voiture et la garerai sur le parking, côté gauche, comme d'habitude. Je serai à mon poste et je ferai ma journée comme si de rien n'était.


Parce que c'est comme ça.

Parce que c'est la vie que j'ai décidé de mener.

Parce qu'au final, c'est le kiff total.


©️AntoineAu-Job

 
 
 

Comments


m9d_expedition

  • Facebook
  • Instagram
  • En savoir plus

© 2024 par Mon site. Créé avec Wix.com

bottom of page